Travailler le yin pour révéler un yang stable : une autre approche du psychisme en médecine chinoise
Dans les fondements du Taiji – ce grand principe de l’unité yin-yang – une chose est frappante : ce qui saute aux yeux, c’est le yang.
Ce qui se manifeste, ce qui rayonne, ce qui impressionne : tout cela, c’est le yang.
Notre société, façonnée par la vitesse, la lumière, la performance, l’image, se précipite naturellement vers le yang. On veut “aller bien”, “penser positivement”, “gérer ses émotions”, “avancer”. Mais on oublie que le yang n’est que l’écume visible d’une mer plus vaste, profonde, dense et nourricière : le yin.
Le yang est superficiel, impermanent, impalpable. Il est mouvement, chaleur, pensée, émotion, expression.
Mais il ne peut pas exister sans son origine, son terreau : le yin.
Prenons un exemple courant : les émotions.
On me demande souvent : “En MTC, comment vous traitez les émotions ?”
Eh bien, à mes yeux, l’émotion est un phénomène purement yang : un mouvement de l’esprit, une effusion temporaire, une modulation du souffle interne.
Mais derrière chaque émotion, il y a une structure.
Derrière chaque pensée, un support.
Derrière chaque état d’esprit, une matière : le sang, le yin.
Nous avons dans la langue française de nombreuses expressions qui en témoignent :
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“Se faire du mauvais sang”
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“Avoir le sang chaud”
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“Un coup de sang”
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“Avoir du sang-froid”
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“Être de sang royal”
Autant d’images qui relient la sphère psychique à la qualité du sang, à son abondance, à sa stabilité.
En médecine chinoise, le Shen (l’esprit) loge dans le sang du cœur. Il est ancré par les Reins, régulé par le Foie, produit par la Rate.
Sans sang de qualité, le mental vacille.
Imaginez vouloir écouter une musique merveilleuse sur un vieux casque cassé ou des enceintes saturées.
Vous pouvez travailler sur la composition, mais le résultat dépendra toujours du support.
La musique, c’est le yang. Le casque, c’est le yin.
Il en va de même dans la gestion du psychisme.
On croit parfois qu’une thérapie verbale suffit à stabiliser l’émotion. C’est vrai, en partie. Mais comment croire que l’on pourra tenir debout mentalement si l’on n’a pas les Reins solides ?
Comment traverser les épreuves avec courage si la qualité de notre yin – nos organes, notre sang, notre énergie profonde – est affaiblie par des années de fatigue, de stress, de mauvaise hygiène de vie ?
Travailler le mental, c’est travailler le yin.
Dans ma pratique des thérapies manuelles chinoises, j’ai vu trop de personnes chercher la lumière sans vouloir nourrir la racine.
Le Yang se redresse quand le Yin est consolidé.
Et c’est justement là que les techniques manuelles — massage tuina, travail des méridiens, régulation du qi, moxibustion douce — prennent tout leur sens : elles réancrent, renourrissent, apaisent, stabilisent.
Elles permettent de restaurer la capacité organique à émettre un esprit stable. Ce ne sont pas de simples soins relaxants : ce sont des actes de reconstruction.
Alors méfions-nous de la gratification immédiate du yang :
Un “j’ai compris”, un “ça va mieux”, un “j’ai tourné la page” — oui, c’est agréable.
Mais le vrai changement est discret.
C’est quand on dort mieux.
Quand la digestion s’améliore.
Quand les douleurs s’espacent.
Quand la voix s’enracine.
Quand l’on cesse de se fatiguer à penser.
Traiter les pathologies psychiques par la MTC, ce n’est pas fuir le psychisme.
C’est reconnaître que pour faire naître un esprit lumineux, il faut d’abord nourrir l’obscur, l’humide, le dense : le yin.
C’est retrouver le courage d’un mode de vie stable. C’est renoncer à la fascination du yang, et entrer dans la transformation réelle.
Le corps, lui, ne ment jamais.
Et c’est par lui que commence la paix de l’esprit.