Apprendre avec les mains, comprendre avec le corps : une pédagogie incarnée des Thérapies Manuelles Chinoises

Il existe des médecines discrètes : invisibles dans les protocoles standardisés, mais lumineuses dans l’art de lire l’humain, de rétablir ses dynamiques internes, de restaurer et de faire résonner le soin dans la profondeur du corps. La Thérapie Manuelle Chinoise en fait partie. Elle représente un art du toucher raisonné, un langage tactile dont les fondements reposent sur plusieurs millénaires d’observations. C’est aussi un outil thérapeutique minimaliste, accessible, et puissant – bien qu’encore sous-estimé. Et une pédagogie.

Dans notre école, nous avons choisi d’enseigner autrement. Car si la Médecine Traditionnelle Chinoise constitue un système de pensée, elle incarne aussi une sagesse pragmatique. Ainsi, chaque geste, chaque pression, chaque mouvement pertinent devient un diagnostic, un traitement et une transformation.

Une médecine du corps intelligent

La Thérapie Manuelle Chinoise repose également sur une base d’analyse : méridiens, mouvements du Qi, organes-zang, anamnèse énergétique. Toutefois, elle reste techniquement simple. Elle n’utilise ni aiguilles, ni pharmacopée, ni appareils. Seulement les mains, le souffle et la conscience du mouvement.

Cette méthode offre un champ d’application très vaste, car elle ne présente presque aucune contre-indication. Lorsque le massage ou la digitopuncture sont inadaptés, on peut recourir aux mobilisations articulaires, aux mouvements conduits, aux inductions respiratoires ou encore au développement de la volonté.

Elle propose une médecine du juste nécessaire. Chaque technique découle non d’un protocole figé, mais d’un raisonnement clinique énergétique, sensible, structuré et personnalisé. De plus, les effets se perçoivent immédiatement. Le patient ressort transformé dans ses mouvements, sa respiration, sa posture et sa conscience corporelle.

Une pédagogie à rebours du modèle académique

L’enseignement classique s’articule en trois étapes : savoir théorique, entraînement technique, application pratique. Dans notre formation, nous avons volontairement inversé cet ordre.

Nous partons de l’expérience. Le geste, le ressenti, la rencontre avec le patient précèdent l’analyse. En effet, les recherches en neurosciences le démontrent : l’action structure la compréhension, et non l’inverse.

Antonio Damasio (1994) a montré que la cognition reste indissociable de l’émotion et de la perception corporelle. Francisco Varela et ses collègues, dans *The Embodied Mind* (1991), soulignent quant à eux que la conscience est enracinée dans l’expérience sensorimotrice.

Comme le dit Varela : « Ce n’est qu’en agissant que l’on comprend, et c’est en comprenant que l’on transforme. »

Autrement dit, le corps apprend avant l’intellect. Nos étudiants vivent les techniques, les testent et se les approprient. Ensuite vient le temps de l’analyse, de la modélisation, du savoir théorique. Cette démarche change tout. C’est notre pédagogie.

Des journées de formation cliniques, fondatrices, et vivantes

– Le clinicat, avec de vrais patients. Les étudiants expérimentent les demandes, les plaintes et le soin réel.

– Les pratiques guidées, axées sur la sensibilité palpatoire, le ressenti énergétique et la posture thérapeutique.

– Des apports théoriques ponctuels, toujours reliés à la pratique en cours.

– Un accompagnement pédagogique via des fascicules clairs, des vidéos et un accès libre au formateur.

Nous valorisons le raisonnement diagnostique, la stratégie thérapeutique et le savoir-faire clinique. Nous privilégions cela à la mémorisation encyclopédique. Quand une question reste sans réponse, nous encourageons la recherche et la persévérance. Car savoir chercher est essentiel.

Une communauté d’apprentissage et de transmission

Notre pédagogie place le groupe au centre. Lors des stages, toutes les promotions se réunissent : anciens, nouveaux et en cours de formation. Ces échanges favorisent la reformulation, la clarification.

Comme l’affirme Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. »

Ce travail d’explicitation renforce la pensée, affine l’observation et ancre les savoirs. De plus, dans les moments informels, autour d’un thé, l’apprentissage du métier se poursuit.

Comme l’isolement menace parfois les praticiens en cabinet, nous avons mis en place des groupes de correspondance, de soutien mutuel et de transmission informelle. Une communauté vivante a ainsi vu le jour.

Une voie de transformation

Au fil du temps, nous nous apercevons que suivre cette formation, ce n’est pas seulement acquérir une technique, mais c’est développer un art du soin.
C’est entrer dans une posture de soin, dans un cheminement intérieur, dans une réflexion constante sur ce qu’est soulager les souffrances, ce qu’est toucher, ce qu’est comprendre.

Il n’y a pas de contrôle continu, pas de note, pas de stress.
Chacun progresse à son rythme, selon ses possibilités de sa vie personnel.
Chaque élève possède sa propre motivation : connaissance personnel, aide à la famille, reconversion, où approfondissement professionnel.
Et lorsqu’un étudiant se sent prêt, il présente un mémoire de recherche, fruit de sa propre exploration clinique. Ce travail est évalué par ses pairs, non selon une grille rigide, mais selon son authenticité, sa profondeur et sa pertinence thérapeutique.

Une pédagogie incarnée, une médecine vivante

Nous ne formons pas des techniciens.
Nous accompagnons des praticiens en devenir, qui apprennent à lire le corps autrement, à soigner par la présence, à penser par le geste.

Cette formation est une porte vers une médecine vivante, minimaliste, profondément humaine.
Elle est un chemin de vie nourrissant, exigeant, mais profondément fécond. Pour en savoir plus

📚 Références scientifiques

• Damasio, A. (1994). Descartes’ Error: Emotion, Reason, and the Human Brain. Putnam.
• Immordino-Yang, M. H., & Damasio, A. (2007). We Feel, Therefore We Learn. Mind, Brain, and Education, 1(1), 3–10.
• Varela, F. J., Thompson, E., & Rosch, E. (1991). The Embodied Mind: Cognitive Science and Human Experience. MIT Press.
• Merleau-Ponty, M. (1945). Phénoménologie de la perception. Gallimard. (Pour l’approche de la perception incarnée)
• Boileau, N. (1674). L’Art poétique – « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… »